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De Bram à Saissac en tramway

Erick FANTIN Par Le 16/12/2013 0

Dans Gardons la mémoire intacte !

De Bram à Saissac en tramway.
 Par le Dr J. Michel

 

Qui chantera la poésie de ce qu’était au début de ce siècle ce train de montagne ?

Parti de Bram-la-Gauloise à destination de St Denis l’improbable, et qui, vaillamment, soufflant la vapeur, crachant mille escarbilles, gravissait avec une lenteur paysanne les pentes montagnoles.

Train de voyageurs où l’on étouffait l’été, gelait l’hiver, mais où l’on était toujours noirci par les grains de charbon et de suie. Trains mouillés qui passaient dans les champs, longs convois de marchandises bruissants, qui pour la pluie avaient mis leur lourd manteaux de bâches.

On passait des champs blonds à des bosquets sombres, du bleuissement des vignes à l’éblouissement de bruyères, de l’arborescence ajourée des pinèdes aux sous-bois à la lumière rousse. C’est le 10 mai 1905 que le tramway, ahanant et à bout de souffle arriva à Saissac pour la première fois. Il appartenait à la compagnie des Tramways  à Vapeur de l’Aude (T  A)

 

La ligne de Saissac suivait le trajet des routes existantes, mais en raison de la pente 8 kilomètres de voies particulières furent créés. Les rails de type Vignole, étaient noyés dans la chaussée et simplement posés sur des traverses de bois de second choix, malheureusement pour leur durée.

Tombereaux et wagons plats assuraient le transport des marchandises  Les voitures pour voyageurs étaient de 2 types. Une voiture de 21 places assises de deuxième classe et une voiture mixte offrant un compartiment de première classe avec sièges capitonnés, garnis de drap mastic et un de seconde avec 14 places sur des banquettes en lattes de bois.

A chaque extrémité du wagon, il y avait une plate-forme ouvert, par où se faisait l’entrée.

Un petit balconnet en fer forgé donnait à ces voitures un petit air de Far-West américain et l’on était étonné de ne pas trouver un chasse-vache à la locomotive.
 

Le parcours Bram-St Denis était Couvert en 1h34 en 1909 et 2h en 1915 à cause du mauvais état de la voie. Trois aller-retour étaient effectués dans la  journée. Rythme qui par moment tombe à 2 et même à un seul pendant la grande guerre. Le tramway quittait Bram la riante, traversait à niveau les voies du Midi, passait dans les plaines quadrillées, triangulées de céréales, vignes et tournesol, traversait le canal du Midi, pour arriver à la halte de Montplaisir. Franchissant prudemment la nationale 113.
 

Il se lovait contre le parc de Rocreuse, sautait le Tenten, pour arriver à la ferme maléfique de Jonquières. Là à cause d’un terrain mouvant, il lui arrivait parfois de quitter la voie pour aller, tel un sous-préfet aux champs s’étaler dans la prairie voisine. La Corpet-Louvet sifflait alors éperdument à s’en époumoner. C’était le signal convenu pour signaler son inconfortable position aux gens de
 St Martin qui se portaient aux secours des sinistrés. A l’aide de palans et de crics, cantonniers et bénévoles remettaient les voitures sur les rails et le petit train repartait.

Aux alentours dans le dévalement des vignes, on voyait tout un lacis de maisonnettes enguirlandées de liseron, des boqueteaux d’olivier, des capitelles, des troupeaux moutonnants parmi les cades et les genévriers. Pays de la pierre chaude, et des chemins blancs tout tintant de grelots. Sifflant puissamment et vomissant une fumée aussi noire qu’abondante,
le tramway arrivait à St Martin, petit village perché une colline, avec un roc au bout, toute une nichée de maisons bariolées, ocre, pistache, bure ou pastel.

Des grincements montant des rails parcouraient comme un frisson métallique tout le train depuis la locomotive jusqu’au fourgon de queue. En quittant la gare on avait l’impression que le marchepied de la Corpet allait heurter un énorme platane, mais une astucieuse échancrure permettait le passage et l’arbre quoique blessé continuait à dispenser une ombre généreuse.

Voici le train longeant la route où vont voituriers aux tombereaux ferraillant, pâtres vagabonds, gendarmes encore à cheval, facteurs aux jambes bleues, colporteurs. Au four à  chaux du Cammazou on déchargeait le coke et au retour on embarquerait les sacs blancs de Cammazite ou de Viticalcite. Une allée de grands platanes frais reliait la gare de Cenne au centre du village, hélas distant d’une lieue. Le puissant sénateur-maire, Monsieur Mir ne put jamais obtenir le prolongement de la voie jusqu'à Alzonne à cause du coût élevé de l’opération.

Quittant Cenne et sa charmante receveuse Madame Bonnet, le train entamait la difficile montée. Des rampes de 40 Mm/m et des courbes de 100 m de rayon, voilà ce que devait affronter la Corpet pendant 6 km, avec des haltes à Cap-de-Porc et Garric, rendez-vous des gens de Villemagne qui montaient dans le train tout imprégnés des odeurs de leurs savoureux oignons.
Mais loin des cigales et loin de la fournaise, la station de Saissac apportait enfin dans un seul souffle la première fraîcheur du monde.

Toujours tricotant, Rose se rend trois fois par jour à la station ;
Elle arrive 20 minutes avant le tramway et elle y reste un quart d’heure après le départ. Elle délivre les billets, s’assure que les enfants ont moins de 3 ans et peuvent voyager sur les genoux de leurs parents ; de 3 à 7 ans ils paient demi-place. Il y a des billets de première et de seconde classe, des aller-retour, des tarifs spéciaux.
Au-delà  de 30 kg de bagages, il faut payer un supplément. Rose reçoit les bulletins d’enregistrement des bagages. Les chiens paient 40 centimes et voyagent dans une cage.  L’hiver c’est elle qui fournit les bouillottes chaudes aux voyageurs transis. Il lui faut faire les commandes, tenir la comptabilité, remettre l’argent au comptable. Elle s’occupe des marchandises, à côté de la halte, une halle à marchandises abrite les petits convois.

Un quai permet le déchargement de wagons entiers : graines, lait, bétail, fourrages, fumier de brebis, paille, seigle, pierres de taille, il faut tout peser, numéroter, étiqueter et au retour recevoir, vérifier engrais, huile, vins montant de la plaine.

Enfin un agent postal est installé dans le fourgon. Il reçoit, trie, oblitère avec un tampon spécial le courrier de la ligne amené de la poste de Bram  et distribue les sacs postaux aux bureaux de poste desservis par la ligne. Rose assure le transport de ces lettres et colis à la poste de Saissac où elle fait parfois des remplacements de la demoiselle des postes.

Une extraordinaire animation entourait départs et arrivées, c’était le rendez-vous de la jeunesse, un lieu de rencontre et de distraction.
Les jours de fête ou de foire, dans les rires et les chansons, les éclats d’une joie bruyante, la ribambelle endimanchée des invités était reçue à la gare. La fête terminée on les y raccompagnait,
non sans quelque mélancolie en se disant « à la prochaine ».
 Parfois le train est en retard, après la pluie froide et glacée, il s’est amusé à patiner sur ses rails. Aux raides pentes montagnoles, la machine se lance, glisse, recule, recommence une fois, deux fois, trois fois. Ah voilà le mécanicien qui descend et jette sur le rail des pelletées de sable. Des voyageurs n’hésitent pas à descendre pour pousser et voilà le petit train reparti, pour s’amuser plus loin à son sport favori. 

Tout cela creusait l’estomac. On sortait alors la « cantine » de vin rouge, les « banastous » laissaient s’échapper des flots de victuailles, on déficelait le saint saucisson, on attaquait le « cambajou » les œufs durs et le cornet de sel. Des tranches de pain bis calaient l’estomac et les petits avaient des
 « fougassets » On boustifaillait à l’aise, chacun offrait ses produits et l’on échangeait des compliments sur leur qualité. Tous ces gens se connaissaient et la disposition des wagons encourageait une convivialité souhaitée. On apprenait là les mariages, les décès, les cancans, les scandales. Le soir chacun les commentera en famille et les objections tomberont quand on précisera « On l’a dit dans le train ». N’y manquaient point aussi les rires énormes ponctuant les histoires lestes, voire paillardes rendues acceptables par l’emploi du patois.

Et ces contrôles si compliqués tant les femmes étaient enveloppées de corsages archimanchus et de jupons superposés et cachaient si bien leur porte-monnaie dans les poches de leurs dessous si secrets qu’elles ne le trouvaient jamais du premier coup.

Après la gare de Saissac (actuelle gendarmerie), la ligne se poursuivait en site propre (notre actuelle promenade) passait sur un pont de pierre au-dessus de la Vernasonne. A partir de la Pierre St Denis, elle longeait l’actuelle route qu’on avait élargi par endroits jusqu’à son terminus dionysien.  Traversant le haut plateau riant et feuillu, avec ses enclos herbus, ses ruisselets nouveau-nés riants et chantants dans la mousse, ses entailles dans le roc ; les courbes molles des prés et le parc noir de Béteille avec, émergeant de ses arbres, le pignon gris du château.

Saint Denis avait une gare importante. Il y avait une remise à machines avec dortoir, une plaque tournante, une halle à marchandises, un grand quai, une halte en maçonnerie. Pendant la guerre le chef de gare était une charmante jeune fille.

FIN DU TRAMWAY

Malgré des améliorations sensibles : en 1923 pas moins de 5800 tonnes transitent par la ligne Bram-St Denis, le déficit des T V A était constant et le conseil général, las d’éponger les dettes passa en 1928 un accord avec la S G T D (Société générale des transports départementaux) qui proposait une exploitation mixte. Voyageurs par route et marchandises par rail. En 1931 un aller-retour mixte fonctionne encore les 1er et 3ème mercredis, jours de foire. Mais en 1932 c’est l’arrêt complet au mois d’août. Dès le premier août 1930 des autobus Renault et Panhard sont mis en service. Ils seront remplacés, plus tard, par des Berliet, plus lents mais plus solides, qui, curieusement présentent un intérieur avec sièges placés le long des parois et voyageurs se faisant face comme dans les anciens wagons. L’entrée se faisait par l’arrière. Ces Berliet assuraient aussi le transport du courrier qu’un facteur venait chercher devant le café de la Montagne Noire.

Le trajet Bram-St Denis avait lieu deux fois par jour. Il dura jusqu’aux années 46-47. Pendant la guerre il fonctionnait au gazogène. C’est l’ancien  conducteur du tramway Raymond Gastou qui se reconvertit en chauffeur de car. Notre Rose fut chargée de s’occuper des billets et bagages. Elle devait alors soigner ses parents et logeait avec eux dans la maison près de l’école où dans leurs vieux jours son frère, sa belle-sœur et le frère de celle-ci Eugène vinrent s’installer.

Mais souvent le petit train passe dans sa mémoire, plein de figures amies lointaines, pâles et souriantes à ses fenêtres carrées, tant de nattes blondes et de chignons, de cols marins et de fillettes à fichus, le bleu des blouse et le blanc des coiffes. Et la Corpet-louvet avec sa grande cheminée, son dôme régulateur en forme de cloche pneumatique, ses deux grands yeux cuivrés, s’enveloppant dans d’étranges vapeurs, semble écrire avec des arabesques de fumée le mot « SOUVENIR » comme sur les cartes postales d’autrefois.

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