Marine: l'ordre d'utiliser le feu nucléaire passera par Saissac
-Base militaire de la Régine, Saissac, montagne Noire. A 615 m d'altitude, battue par les vents. Classée « Installation prioritaire de défense », station stratégique de transmission de la marine nationale. En liaison directe avec les sous-marins nucléaires.
Dans la salle de supervision, centre névralgique de la base et zone classée « secret défense », il serait presque insignifiant, ce pannonceau marqué « air propre ». Derrière ces deux mots se cache pourtant une réalité lourde de conséquences: en cas d'attaque chimique, bactériologique ou nucléaire, cette pièce ne laisserait pénétrer aucun microbe, aucun virus, aucune bactérie, aucune radiation. Un havre propice à la vie en autarcie. A votre bunker, m'sieurs-dames.
Scénario pessimiste: la France subit une agression nucléaire ou chimique. Admettons... Admettons que Paris, Lyon, Marseille ou l'Aude soit rayées de la carte. En surface, tout n'est que ruines, chaos et air empoisonné. En souterrain, les marins de la Régine se sont réfugiés dans cette salle « air propre » où trônent les vingt-huit émetteurs hyperpuissants, construite dans une cage de Faraday totalement hermétique à la plus infime impulsion électrique, complètement insensible aux orages ou aux coups de foudre. Ils attendent l'ordre d'engagement de riposte nucléaire que doit leur transmettre le président de la République. Dans la seconde, l'un des quatre sous-marins lanceurs d'engins (SMLE) français postés quelque part en Méditerranée, dans le Golfe Persique ou l'Atlantique, lance l'atomique réplique sur l'agresseur. Boum!
INSTALLATION PRIORITAIRE DE DEFENSE
Hypothèse pessimiste? Hypothèse possible. Rien de nouveau depuis les Romains: si tu veux la paix, prépare la guerre... Même si la guerre a changé de forme, passant d'un risque de confrontation entre nations à celui d'une agression de la pieuvre terroriste envers les intérêts occidentaux. Enfin, sait-on jamais... Surtout que, depuis un 11 septembre devenu historique, les états membres de l'Organisation des traités de l'Atlantique nord (Otan) révisent de fond en comble leurs plans de défense nationale. On a longtemps sous-estimé les risques de menaces directes sur le sol américain, britannique ou français. On sait désormais que la confiance et l'orgueil conduisent aux pires scénarios. New York peut en témoigner. Bali ou les Philippines aussi.
Dans ce nouveau désordre mondial auquel les nations de l'Otan tentent de remédier, la base France Sud de la marine nationale, scindée en deux sites-la Lauzette, à Villepinte, pour les transmissions satellite ( ire ci-dessous) et la Régine, à Saissac, pour l'émission en direction des bâtiments en surface et les sous-marins nucléaires-, est promise à un rôle-clé. Et par-delà, le département de l'Aude dans son ensemble occupe une place stratégique dans le dispositif de défense nationale.
La Régine, ce sont vingt-huit émetteurs et vingt-huit antennes. La plus grande culmine à 331 m, soit le troisième plus haut pylône de France. Mieux que la tour Eiffel. En cas de pépin, elle est suppléée par un ballon dirigeable qu'on distingue parfois en position stationnaire dans le ciel audois. C'est elle, la plus grande, qui émet à basse fréquence, la seule qui jouisse d'un pouvoir de pénétration sous-marine susceptible d'atteindre les SMLE.
LE SOUS-MARIN EST UN POISSON DISCRET
La station existe depuis 1973. En 1996, explique Dominique Christophe, le commandant de la station, « l'autorité qui gère les sous-marins nucléaires avait besoin d'un centre de transmission VLF (very low frequency) et LF (low frequency). France Sud, station de très haute technologie, est un site exceptionnel. Entre la Lauzette et la Régine, sa couverture est mondiale ».
Le sous-marin est un poisson discret. Il n'émet rien. Il écoute seulement... Pas le moment de se faire repérer... Rechignant à quitter les profondeurs, il préfère évoluer dans les abysses et envoyer un filin équipé d'une bouée réceptrice à une quinzaine de mètres de la surface avant de poursuivre son chemin, des nouvelles fraîches dans la musette. « Ils ne reçoivent pas uniquement des informations opérationnelles, d'ailleurs », tempère le commandant Christophe. Entre les ordres de positionnement stratégique, voire d'attaque, se glissent ainsi des nouvelles du « petit-qui-vient-de-retripler-sa-cinquième-c'est-dieu-pas-vrai-qu'est-ce-qu'on-va-pouvoir-en-faire-mon-chéri-l'autorité-paternelle-ça-lui-manque-tu-sais », ou du col du fémur de la grand-mère du marin Baboulard...
L'information transmise, insiste le lieutenant de vaisseau Bernard Fonade, « n'est de toute façon absolument pas connue de nous. Nous ne sommes qu'un relais ». Un relais dont on saisit aisément l'importance stratégique.
Alors, à installation exceptionnelle, protection exceptionnelle: sur la soixantaine de personnes qui travaillent sur la base de Saissac, ceinte de barbelés dissuasifs, la moitié sont assignées à des missions de protection du site. Des fusiliers marins. Sans compter les chiens, des malinois pour la plupart, auxquels il serait suicidaire ou meurtrier d'intimer l'ordre « attaque!». Sous leurs airs de toutous patelins attendant la pâtée matinale, ils dissimulent des caractères madrés, de véritables armes de combat. Défense nationale. Défense d'entrer.
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