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Les 3 légendes du Cabardès - La Dame de Saissac

Erick FANTIN Par Le 01/09/2014 0

Dans Gardons la mémoire intacte !

La Dame de Saissac

 

1209... Croisade des Albigeois.

                  Les armées de Simon de Montfort déferlent sur le Languedoc,

                  mélange confus de reîtres et de ribauds.

                  Juillet est dans la splendeur de sa moisson, au chant des

                  cigales; Béziers, pris d'assaut, est pillé et Narbonne tombe.

                  Les armées se ruent sur Carcassonne...

                  Bertrand de Saissac jetait un dernier coup d'œil sur son

                  fief, avant de se rendre à l'appel de Trencavel son ami et

                  suzerain, à l'aboi dans Carcassonne.

                  Rapidement, il avait inspecté les remparts de Saissac qui

                  n'avaient pas servi depuis plus de trente ans, quand les sires

                  de Saissac se défendaient contre les Comtés de Toulouse. Il

                  donna l'ordre de faire les réparations indispensables; puis il

                  nomma les chefs, et précisa les consignes de défense; enfin il

                  fit le tri des meilleurs chevaliers, qu'il emmena avec lui à

                  Carcassonne.

                  Et, avant de partir, il confia solennellement le commandement

                  de la place à sa fille, Aude; la coutume était, dit-on, de

                  confier, en temps de guerre, les prérogatives du chef à une

                  femme, pendant l'absence du seigneur.

                  Puis, confiant dans la solidité de ses murs, dans la fidélité

                  et le courage de ses hommes, rassuré par l'éloignement de sa

                  citadelle et par sa situation impressionnante sur un éperon

                  rocheux, il partit à l'aube avec cinquante chevaliers...

                  Aude de Saissac dans l'éclat de ses 19 ans était plus habituée

                  aux plaisirs des « Cours d'amour » et à la joliesse des chants

                  des troubadours qu'au maniement des armes. Certes, elle savait

                  monter, et il était de bon ton d'aller chasser le chevreuil à

                  Ramondens, mais c'était l'affaire des hommes de tuer le gibier.

                  Son père parti, elle raillait avec Jourdain, son damoiseau et

                  chevalier servant, les précautions et les recommandations :

                  Comment penser à la guerre? Comment songer que ce splendide

                  panorama qui s'étalait sous ses yeux pouvait devenir un jour

                  un lieu de massacre? Comment imaginer que les Croisés

                  commettraient la folie de s'engager dans la souricière du

                  Lauragais gardée par les formidables forteresses de

                  Carcassonne, Cabaret, Saissac, Montréal, Fanjeaux et autres

                  places.

                  Et surtout ! Comment ouvrir ses yeux à la guerre sous ce beau

                  soleil de juillet qui transfigurait tout; la plaine se dorait;

                  au loin les Pyrénées bleuissaient chaque jour un peu plus, et

                  la neige n'était plus accrochée qu'aux revers ombreux des plus

                  hauts pics.

                  Croyez-vous à la guerre, Jourdain?

                  Les ouvriers travaillaient mollement aux remparts; les

                  chevaliers chassaient tout le jour au fond des forêts, les

                  hommes d'armes couraient de tavernes en tavernes.

                  Mais le vieux portier de l'entrée de la Vernassonne hochait la

                  tête et ne quittait guère son poste; jadis il avait fait la

                  guerre, et sentait que si Saissac devait être pris ce ne

                  pouvait être que par surprise; avec quelques soldats, il avait

                  réparé les brèches, il avait fait sauter les passerelles sur

                  le torrent et construit un pont-levis; et maintenant, il

                  veillait, prêt à donner le signal à coups de trompe.

                  C'était le dernier jour d'août; Aude s'ennuyant dans son

                  donjon, descendit vers la porte de la Vernassonne pour

                  cueillir quelques fleurs des prés le long du torrent.

                  - Bonjour... dit-elle au vieux portier.

                  Ils parlèrent, et elle s'étonna de la vie sévère que menait

                  cet homme depuis un mois; elle admira qu'il n'eut pas quitté

                  son poste depuis le départ du seigneur, couchant à même le

                  sol, ses armes et sa trompe à portée de la main. La pâle

                  figure de Jourdain lui apparut, et pour la première fois, elle

                  le méprisa d'avoir les mains si blanches et le coeur si peu

                  viril.

                  - Mais... n'avez-vous point besoin de monter parfois à la

                  ville vous délasser ou faire quelque emplette ?

                  - Certes, j'aimerais voir ma femme et mes enfants, mais j'ai

                  promis à mon seigneur de garder son château... J'attendrai

                  qu'il vienne me relever... et puis, qui ici pourrait me

                  remplacer?  ajouta-t-il plus bas.

                  Aude ne releva pas l'allusion à la mollesse des jeunes

                  seigneurs et à la négligence des hommes; toute la ville, et

                  elle-même, délivrés de la lourde tutelle de Bertrand de

                  Saissac, brutal, impérieux, autoritaire, respirait avec

                  délice; Personne n'était pressé de se plier à une discipline

                  quelconque; il serait bien temps plus tard... Mais son bon

                  cœur l'emporta :

                   - Ne suis-je pas Dame de Saissac? Et n'ai-je pas le

                  Commandement du château ?... Allez, mon ami, allez voir votre

                  femme, allez embrasser vos enfants... C'est moi qui en donne

                  l'ordre...

                  Le vieux portier secoua la tête :

                  - Je ne saurais partir sans être remplacé...

                  - Allez, allez, c'est moi qui vous remplace... Je m'ennuie...

                  Cela me distraira... Et j'inspecterai les défenses,

                  ajouta-t-elle en riant... Donnez-moi votre trompe, grand père,

                  et ne vous attardez pas trop...

                  Aude s'installa sur le rempart et rêva à de nouveaux poèmes;

                  la vallée verdoyante de la Vernassonne frissonnait doucement;

                  elle pensa à son père, que tous croyaient maintenant

                  victorieux; un courrier avait appris que les Croisés, décimés,

                  s'apprêtaient à lever le camp, et que Trencavel poursuivait

                  des négociations habiles; chaque jour, de Carcassonne,

                  s'élevait un feu, qui apportait à tous les châteaux des

                  environs un message de courage et de persévérance.

                  ... Tout à coup, sur la route de Carcassonne, jaillissant de

                  l'escarpement de la gorge pierreuse, apparut un détachement

                  d'hommes en armes; à toute allure, ils fondirent sur Saissac

                  dont La porte d'entrée principale se trouvait sur la

                  Vernassonne, là où maintenant, on voit l'emplacement d'un

                  vieux moulin à eau.

                  Père ! C'est Père !

                  C'était Bertrand ! Ah ! La guerre était finie, Carcassonne

                  délivrée, les Croisés taillés en pièce ! Aude en pleurait de

                  joie ! Hâtivement, elle fit tomber le pont-levis et s'élança

                  vers eux en criant son bonheur.

                  - Père ! Ah ! C'est vous, Père !

                  Et toute la ville, alertée par sa folle joie, se répandait

                  dans les rues et acclamait déjà le vainqueur.

                  Mais, le premier cavalier, que, de loin elle avait cru

                  reconnaître pour son père, fonça sur elle et la transperça de

                  sa lance; toute la troupe, lancée à fond de train passa sur

                  son corps, dont la beauté ne fut bientôt qu'un amas immonde de

                  boue et de sang.

                  Alors, les cavaliers de Simon de Montfort, s'élancèrent dans

                  la ville par le pont de la Porte de la Vernassonne, qu'Aude

                  avait si imprudemment laissé ouverte; les défenseurs du

                  château furent égorgés avant d'avoir pu se ressaisir, les

                  femmes furent abomi¬nablement souillées et massacrées, les

                  enfants furent jetés par dessus les remparts, la ville fut

                  livrée a u plus infâme des pillages.

                  Bertrand de Saissac ne put survivre à la perte de tout ce qui

                  faisait pour lui la joie de vivre, et nul n'entendit jamais

                  plus parler de lui.

                  Dans le ravin splendide de la Vernassonne l'été, indifférent à

                  la peine des hommes continuait de s'épanouir, et le vent

                  faisait frissonner doucement fleurs et branches....

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